Je suis une fille sans histoire – Alice Zeniter

Alice Zeniter, née en 1986 à Clamart (France, Île-de-France), autrice entre autres, de L’Art de Perdre pour lequel elle a remporté le Prix Goncourt des Lycéens 2017, signe avec Je suis une fille sans histoire, son premier essai.

Avec cet ouvrage à destination de vulgarisation, ouvertement critique, féministe, politique, l’autrice affiche dans son un essai-conférence l’intention d’introduire les notions de bases de narratologie et de sémiologie dans le but d’amener le lecteur/la lectrice à réfléchir sur la manière dont sont construits les récits fictifs comme non fictifs. 

Alice Zeniter part du constat d’Ursula Le Guin, une écrivaine de l’imaginaire, avec sa théorie de la Fiction-Panier : dès la préhistoire (ou dès la nuit des temps, selon le poncif qu’on préfère), les chasseurs-cueilleurs valorisent les histoires de chasse plutôt que celles de cueillette. La raison est simple : il est plus facile de capter l’attention d’un auditoire avec une histoire violente, qui comprend successivement une action montante, un point culminant, et une résolution ; qu’avec celle, répétitive, de la cueillette d’une baie, puis d’une autre, puis d’une autre… C’est alors que le récit trahit le réel : la cueillette était bien plus importante pour la survie du groupe que la chasse, dont l’apport nutritif était tout à fait minoritaire ; pourtant c’est la chasse qui domine dans les récits.

Remettant alors en cause la construction classique qui valorise les histoires de héros, donc par affiliation les “histoires-qui-tuent”, issue essentiellement de l’héritage de la Poétique d’Aristote, l’autrice donne un contexte d’héritage aux observations de manque de représentation féminine dans, entre autres, les œuvres célèbres de la pop culture. Ainsi, le test de Bedchel, qui permet d’évaluer la qualité de la représentation féminine au cinéma, autant que le syndrôme “de la Schtroumpfette”, qui souligne la présence d’un seul personnage féminin dont le principal attribut est sa féminité, ne sont pas tant des concepts abstraits que des moyens de critiquer la redondance de la typologie de récit par le prisme du genre.

Elle nous amène alors à une réflexion concernant le récit tant fictif que non-fictif pour prolonger le questionnement jusque dans la politique, empruntant à Frédéric Lordon, philosophe et    économiste, la notion de machines affectantes (en gros les médias) pour énoncer l’idée que le coeur de la politique est de convoquer ces machines dans le but d’émouvoir. Il est à reconnaître qu’il n’y aura pas “de triomphe du vrai par simple apparition” : le but de tous les militantismes est alors de susciter des émotions suffisamment fortes dans son public pour pousser les masses à l’action. Dans son processus de vulgarisation, Alice Zeniter nous propose de réfléchir à ce qui est rendu visible, donc en creux, ce qui est rendu invisible : l’inégalité entre les histoires, par l’inégalité à l’accès à ces machines affectantes, est le nœud du problème.  Là, l’argumentaire est peut-être un peu faible, le format ne se prêtant pas à une exposition claire de ce qu’est la politique, ou encore de ce que sont les inégalités.

En ouverture, sans conclusion ferme, l’autrice propose de réfléchir à des moyens de sortir du récit basé sur le héros, qui donne une “histoire-qui-tue”, pour proposer une “histoire-vivante”. Celle-ci n’a rien d’instinctif, et même Ursula Le Guin, dans son chef-d’œuvre Terremer, se demande a posteriori si elle n’a pas elle-même trop réemprunté aux codes narratifs classiques. C’est donc sur cet appel à la recherche de renouveau narratif qu’Alice Zeniter invite les auteurs et autrices à cette même réflexion; car après tout, les histoires non écrites sont encore à imaginer.

Titre de l’ouvrage : Je suis une fille sans histoire
Autrice : Alice Zeniter
Edition : L’Arche
Collection : Des écrits pour la parole
Parution : 2021