Brisons la masculinité dominante
Casse-Noisettes est un collectif visant à comprendre les schémas de domination de la masculinité hégémonique, à déconstruire ses pratiques et faire exister des alternatives.
Contexte
« On ne naît pas femme, on le devient ». Quiconque s’intéresse aux enjeux d’égalité des genres connaît cette assertion de Simone de Beauvoir. Les rôles et qualités traditionnellement associés au genres féminins et masculins sont le fruit de constructions sociales issues de l’Histoire que nos sociétés charrient. Ces traditions sont entretenues par l’éducation, la culture, les médias ou la publicité ; elles sont défendues par nos institutions et nos systèmes juridiques.
Le constat de Simone de Beauvoir vaut tout autant pour les hommes1 : on ne naît pas homme, on le devient.
Bien que les genres féminins et masculins2 sont tous deux des constructions sociales, ils ne sont pas égaux : le genre masculin domine et oppresse le genre féminin.
Construction sociale du masculin et subordination du féminin
Dans nos société patriarcales3, le masculin, valorisé, se construit en opposition au féminin, dévalorisé. Cette construction s’amorce dès l’enfance, où les garçons apprennent à devenir des hommes en se distinguant des filles : ils adoptent une posture de domination et parfois de rejet vis-à-vis des activités ou caractéristiques associées au féminin. Cette construction est tendue vers un idéal de virilité, qui est l’ensemble des caractéristiques physiques, psychiques ou sexuelles culturellement associées aux hommes dans une société patriarcale : force physique, puissance sexuelle, agressivité, courage, amputation de ses émotions, rationalité, etc.
Cette construction du genre masculin entretient ainsi un système de domination au sommet duquel se trouve la masculinité hégémonique4 (à laquelle correspond l’idéal de virilité), c’est-à-dire l’expression de genre qui garantit une position de domination des hommes cisgenres, hétérosexuels, occidentaux, blancs, valides et riches. En dessous se trouvent les femmes et les personnes n’appartenant pas à ce stéréotype : personnes trans, homosexuelles, non-occidentales, racisées, personnes en situation de handicap, pauvres.
La complicité et la solidarité masculine permettent aux hommes qui ne répondent pas à l’ensemble des critères de l’idéal de virilité de bénéficier par ruissellement des avantages du groupe des hommes, et au système patriarcal de perdurer5.
Enfin, la masculinité hégémonique enferme les hommes eux-mêmes dans des stéréotypes de genre et des injonctions à la virilité néfastes, au titre desquelles, par exemple, l’amputation des émotions et la dévalorisation de l’empathie, sources de rapports humains dégradés. Ces injonctions n’ont, rappelons-le, rien de comparable à celles, bien plus oppressives, pesant sur les femmes. Mais leur dépassement nous semble également libérateur.
La masculinité dominante sectionne ainsi l’humanité en deux grandes catégories construites socialement, et enferme chacun·e dans des stéréotypes de genre qui reproduisent les inégalités et entretiennent des schémas de domination.
Dès lors, nous pensons qu’il n’est pas possible d’évoluer vers une société juste et pacifiée sans remettre en cause cette masculinité dominante.
Déconstruire la masculinité dominante, construire d’autres identités
Cette masculinité hégémonique est non seulement toxique pour la société, mais elle dégrade également nos rapports aux non-humains et à l’environnement. Elle amène les hommes à des conduites nocives : culture de la compétition, de la consommation à outrance et de la prédation notamment.
Dès lors, déconstruire et analyser la masculinité dominante est un préalable à la construction d’identités alternatives, respectueuse des relations humaines et non humaines.
Pourtant, ce travail repose aujourd’hui très majoritairement sur l’énergie d’autres personnes que les hommes, en particulier sur les mouvements féministes et queer. Il est nécessaire que les hommes assument cette charge et se responsabilisent sur le sujet, et mettent en avant d’autres récits.
C’est dans cet esprit que le collectif Casse-Noisettes se structure, en cette fin d’année 2021. Pour refuser un système patriarcal oppresseur, pour apprendre à contrecarrer au quotidien la solidarité masculine toxique, pour cheminer ensemble vers d’autres identités !
Objet et méthodes du collectif
Le collectif a pour intention de créer un espace et un cadre de déconstruction de la masculinité hégémonique.
Cet espace aura pour objectif de légitimer, rendre enviable et faire exister d’autres formes d’identités, en veillant à ne pas substituer à la masculinité dominante le récit d’une alternative unique.
Les personnes à l’origine de ce texte se sont retrouvées initialement pour éviter d’avoir à revivre certaines situations : quand les hommes agressent voire détruisent les autres humains, animaux et végétaux ; quand ils s’accaparent les ressources au détriment des autres ; quand ils parlent longuement sans écouter ni laisser l’autre s’exprimer ; quand ils se considèrent comme les seuls sujets dans un monde d’objets ; quand l’humour moqueur et la compétition empêchent toute expression de sentiments sincères…
Nous souhaitons dès lors contribuer à la création d’espaces d’apprentissage collectif, de prise de conscience de schémas patriarcaux toxiques du quotidien, d’outillage pour réagir. Les activités potentielles sont nombreuses et seront librement proposées par les membres actif·ves, au gré des envies, tant qu’elles respectent le positionnement et les valeurs communes6. Une attention sera portée à l’inclusivité et à la diversité dans les formats et contenus proposés ; ainsi que les lieux où ils se dérouleront.
En cohérence avec notre charte et les membres qui composeront Casse-noisettes, nous organiserons par exemple des ateliers pour :
- Réfléchir ensemble : des lectures communes d’essais sur la virilité, des arpentages sur la pornographie, des projections de documentaires spécialisés ou de séries, ateliers d’écriture (slam, poèmes) ;
- Prendre soin de nous : atelier cueillette et confiture du grand-père pour discuter du récit de la masculinité à travers les générations, des cercles de discussions sur des sujets variés : la contraception, la sexualité, la drague, les complexes, les relations amicales et amoureuses, etc. ;
- Casser les codes du masculin : des après-midi de pratiques sportives non-viriles, des ateliers manuels « fais-le toi-même » pour fabriquer des produits d’entretien écologiques ou des cadeaux, atelier cuisine et réflexion sur la place de la viande dans notre alimentation, etc ;
- Soutenir les luttes alliées : organisations d’une cantine de soutien, des coups de mains amicaux sur les gros événements féministes, etc ;
- S’outiller pour agir et réagir : des séances de théâtre de l’opprimé pour saisir comment réagir sur des situations de sexisme, atelier d’autodéfense intellectuelle et de déconstruction des discours masculinistes, etc.
Si certaines activités pourront être proposées en non-mixité afin de faciliter le partage d’expériences individuelles, d’autres seront mixtes et permettront notamment de tisser des liens avec les mouvements alliés.
Ces activités auront pour objectif de cheminer collectivement vers des masculinités alternatives d’une part, et de relayer les discours existants sur le sujet d’autre part.
Positionnement et valeurs du collectif
Le collectif affirme un positionnement d’allié des mouvements féministe et LGBTQIA+. La déconstruction de la masculinité dominante est un préalable essentiel à cette posture d’allié·es et aux passerelles à bâtir avec ces mouvements. Une attention particulière sera apportée à ne pas invisibiliser les luttes de ces mouvements et la parole de ses membres.
Pour cela, le collectif souhaite se soumettre à des exercices de réflexivité sur ses pratiques et ses discours en écoutant et intégrant la critique et les éclairages de ces mouvements. Concrètement, nous souhaitons constituer un « comité d’éthique7 » composé de personnes morales ou physiques qui aura pour tâche de garantir la conformité des activités du collectif avec son objet.
Casse-Noisette affirme son opposition ferme aux thèses masculinistes et emploiera une partie de son énergie à déconstruire et combattre ces discours.
Le collectif se reconnaît et défend les valeurs d’autogestion, d’éducation populaire, de communication bienveillante, d’inclusivité et d’accueil, et dénonce toutes les formes de domination.
1 Nous désignons principalement dans ce texte par le terme d’hommes les hommes cisgenres hétérosexuels, par abus de langage et pour ne pas le surcharger. Il ne s’agit pas d’invisibiliser les personnes non cisgenres ou non hétérosexuelles, ni d’insinuer que les masculinités non hétérosexuelles ou non cisgenres ne nécessitent pas d’être déconstruites, mais plutôt de renvoyer par ce terme aux caractéristiques de la masculinité dominante.
2 Masculin peut être défini ici à l’ensemble des pratiques de genre renvoyant au rôle social d’homme dans une société patriarcale occidentale.
3 Nous définirons ici la société patriarcale comme un système d’oppression dominé par les hommes reposant sur une organisation sociale, juridique et politique fondée sur la détention de l’autorité par les hommes, à l’exclusion explicite des femmes. Dans ce système, le masculin est à la fois norme supérieure et la norme universelle.
4 Nous confondons ici masculinité dominante et masculinité hégémonique.
5 Voir Raewyn Connell, Masculintés, enjeux sociaux de l’hégémonie. Ed. Amsterdam, 2014.
6 Une charte est en construction.
7 Le nom est encore à arrêter.